Pourquoi les Soulèvements de la terre appellent à faire la « Guerre à la Guerre »

Dans la propagande gouvernementale, il est chaque jour question « d’économie de guerre », de « sécurité », de « menace », et de « réarmement ». Dans ce contexte, les Soulèvements de la terre se joignent à la coalition « Guerre à la Guerre » pour appeler à une mobilisation le 21 juin prochain, contre le salon d’aviation militaire du Bourget. Ce texte déplie les raisons profondes qui motivent notre participation à cette initiative.

Pourquoi les Soulèvements de la terre appellent à faire la « Guerre à la Guerre »

La France et la logique de guerre

Le discours médiatique et gouvernemental ambiant sur le « retour » de la guerre, omet que celle-ci, pour de nombreux peuples, n’a jamais vraiment cessé. Cette prétendue « nouveauté » fait généralement bien peu de cas de la longue histoire du génocide en cours à Gaza, de l’interminable conflit armé et de toutes ces guerres qui persistent au Soudan, dans le Sahel, au Yémen, etc.

La France n’a jamais rompu avec son héritage colonial. Elle ne se distingue pas dans ces nombreux conflits par une quelconque « stature morale » ou une « défense acharnée des droits humains ». Et pour cause, les guerres, mêmes les plus lointaines, se fabriquent près de chez nous. La France est le deuxième exportateur d’armes au monde(1). La prolifération des conflits armés est pour elle un business lucratif. Elle est complice des massacres de civils en Palestine (2) et au Soudan (3). Elle laisse ses entreprises contourner l’embargo pour livrer des armes à la Russie (4). Elle continue à opérer dans divers pays par des moyens militaires, de manière ouverte ou en sous-main, pour piller les matières premières, l’uranium ou le nickel. Elle cherche toujours à maintenir sa domination impériale sur une partie de l’Afrique (5) et de l’indo-pacifique.

La logique de militarisation infuse aussi, depuis longtemps déjà, sur le « territoire national » où se renforce un continuum sécuritaire armée/police/frontière (6). Celui-ci vise « l’ennemi intérieur » : les étranger·es, les musulman·es, les déviant·es, les opposant·es politiques. En témoignent les mort·es aux frontières de l’Europe, les tanks envoyés contre les révolté·es solidaires de Nahel, les crimes coloniaux en Kanaky, les pluies de grenades à Sainte-Soline ou sur les derniers mouvements sociaux. Ce sont les mêmes entreprises qui fabriquent les armes de guerres et celles du « maintien de l’ordre ». Le gouvernement compte sur leurs « innovations » pour faire face aux contestations. Ne nous y méprenons pas, en matière de politique intérieure, l’appel à la « remilitarisation  » marque le prolongement perpétuel d’un état d’exception qui est désormais devenu la norme. C’est un sauf-conduit donné à l’État réduit à son plus simple appareil : un organe militaire et policier gangrené par l’extrême droite. Dans la bouche de ce gouvernement, le « réarmement » est aussi un moyen d’approfondir la guerre de classe menée contre les milieux populaires : démantèlement continu des systèmes de soin et des systèmes de protection sociale, la dégradation des conditions de travail et des droits sociaux…

Leurs guerres contre la terre

Les guerres – la prise militaire des terres et l’asservissement armé des populations qui les habitent – sont un levier historique du déploiement du capitalisme fossile. Elles sont l’instrument et le moteur de l’extractivisme effréné et de l’accaparement de l’eau, du pétrole, du gaz, des minerais et des terres agricoles. Les destructions massives engendrées par les conflits armés représentent un commerce juteux pour les marchands d’armes et de béton. La guerre est rentable. Trump l’assume ouvertement : il planifie le racket des terres rares d’Ukraine et projette de construire un luxueux complexe immobilier à Gaza en déportant des dizaines de milliers de civils.

Les reconfigurations géo-politiques en cours marquent une nouvelle étape de ce processus de pillage. De la Cisjordanie aux pays baltes, du Congo au Groenland, l’intensification de la catastrophe climatique et la raréfaction des ressources débrident encore les desseins expansionnistes des plus grandes puissances militaires. La croisade internationale des élites mondiales pour renforcer leur niveau de vie et leurs profits, en dépit de l’effondrement écologique manifeste, est un motif essentiel des guerres d’aujourd’hui. C’est dans ce contexte qu’en Occident, une cohorte de milliardaires redouble d’efforts pour mettre au pouvoir des régimes autoritaires.

Des luttes écologistes au complexe militaro-industriel

Si les luttes écologistes et les luttes antimilitaristes ont été si longtemps complémentaires, c’est qu’il y a une continuité entre les infrastructures de guerre et celles de destruction des terres. Trois exemples éclairent cette imbrication mortifère: 

– Ce que nous nommons complexe agro-industriel correspond à l’adaptation des technologies militaires à des fins agricoles, après 1945. Celle-ci, avec la généralisation de l’agro-chimie et la course à la mécanisation, a joué un rôle crucial dans la destruction de la classe paysanne et de la biodiversité (7). Aujourd’hui, il est même question d’un complexe « agro-militaire » israélien pour désigner l’enchâssement des politiques agricoles et militaires en contexte colonial (8).

– Avant de décrire le processus global de destruction de la planète, le concept d’écocide fut originellement forgé pour décrire la destruction massive des forêts et mangroves par les bombardements et l’agent orange pendant la guerre du Vietnam (9). Pour détruire les maquis du Vietcong, l’armée américaine a détruit 20% des forêts du pays et 400 000 hectares de terres agricoles !

– Les essais nucléaires de la France, ont empoisonné des populations et ravagé des milieux, dans le désert algérien et l’archipel polynésien. Ces territoires en subissent encore les conséquences sanitaires et environnementales. L’acquisition de la dissuasion nucléaire française fut, elle aussi, le fruit d’un écocide dans ses colonies. 

Face à cette imbrication entre le complexe militaro-industriel et les infrastructures qui ravagent la terre, nous devons repenser aujourd’hui l’articulation entre nos résistances écologiques locales et la lutte internationale contre les guerres impérialistes. Quand nous luttons contre l’entreprise ST Micro-electronics à Grenoble en mars 2025, nous nous opposons ainsi dans un même geste à l’accaparement de l’eau, à son intoxication, et à la fabrication de composants électroniques qui finissent entre les mains des armées israéliennes et russes.(10) Quand nous visons des sites Lafarge-Holcim, multinationale en procès à l’automne pour financement du terrorisme, nous visons à la fois les acteurs de l’artificialisation en France et un grand prédateur de guerre au Moyen Orient.

Apprendre des anti-impérialismes et des anti-fascismes

Il nous semble aujourd’hui vital de réactiver l’héritage subversif des paysan·nes du Larzac et des féministes de Greenham Common, qui ont fait vivre une écologie anti-militariste ; mais aussi celui de l’internationalisme ouvrier et des luttes contre le colonialisme qui sont à l’origine de la critique anti-impérialiste. C’est en réactualisant ces histoires dans nos luttes actuelles, à l’aune des bouleversements mondiaux en cours, que nous pourrons reconstruire un front contre les impérialismes et leurs guerres.

La coalition Guerre à la guerre regroupe notamment Urgence Palestine, Tsedek, Survie, le Collectif Sans Papiers 75, Vietnam Dioxine, la Marche des Solidarités, l’Assemblée féministe Paris-Banlieue, Désarmons-les, des comités étudiants pour la Palestine, Réseau Vérité et Justice, etc. De la Palestine à la françafrique en passant par la répression aux frontières ou aux impacts de la chimie de guerre, tous sont en prise avec les aspects les plus destructeurs du complexe militaro-industriel à l’international, ainsi qu’à ses déclinaisons sur le territoire français.

A  l’échelle mondiale, les champs de conflits et d’alliances entre blocs autoritaires se reconfigurent mais les guerres perdurent. A l’intérieur des Etats, en France comme ailleurs, les forces réactionnaires sont à l’offensive. Dans l’histoire, les menaces de guerre ont alimenté la montée du fascisme. Et celui-ci a systématiquement été l’initiateur de guerres impéralistes. Ne laissons pas un gouvernement français, déjà indirectement inféodé à l’extrême doite, utiliser la rhétorique de la guerre pour nous faire croire qu’il va nous protéger. Ne les laissons pas nous diviser et faire croire que  la condamnation la plus ferme du génocide en Palestine ou de l’islamophobie en France équivaut à cautionner l’antisémitisme. La menace internationale que représentent Trump ou Poutine est réelle. Mais le danger est bien aussi incarné ici par Retailleau, Darmanin, Bolloré ou Bardella. Leur tenir tête, tout en se donnant les moyens de solidarités internationales, nécessite de renouveler ici les liens au sein du camp écologiste, syndical, féministe, anti-raciste et anti-fasciste. Il n’existe pas de meilleur moyen pour cela que l’action commune.

Ni pacifisme, ni union sacrée

« Guerre à la guerre » fut le cri de Rosa Luxembourg et de Jean Jaurès à la veille de la grande boucherie de 14-18. La formule condense aujourd’hui le paradoxe qui nous travaille : nous sommes contre la logique même du complexe militaro-industriel, mais nous assumons qu’en Palestine, en Ukraine ou ailleurs, les peuples ne peuvent toutefois pas se défendre sans arme face aux invasions impéralistes, coloniales, ou aux dictatures qui les écrasent. Les possibilités d’auto-détermination populaire, dont nous sommes solidaires, tiennent aux moyens très concrets de faire face aux guerres. Elles relèvent d’une urgence permanente à trouver des appuis divers, autant que faire se peut par le bas, aux besoins de la résistance.  Elles inventent et maintiennent des équilibres précaires entre les nécessités de la lutte armée et l’idéal de la souveraineté populaire, entre les dynamiques de la militarisation et celles de l’émancipation.

Depuis la France, notre engagement face au complexe militaro-industriel chemine sur une ligne de crête : ni opposition morale de principe à toute guerre en s’exonérant de prendre parti dans les conflits en cours ; ni ralliement à l’union sacrée derrière « notre » État-nation, inaction face à la course à l’armement et acceptation passive des sacrifices qu’il veut nous imposer en son nom. Le soutien militaire aussi sélectif qu’intéressé des gouvernements occidentaux face à la Russie ne peut pas être le nouveau prétexte impératif pour justifier ici de nouvelles régressions sociales et écologiques assorties d’un recul des libertés publiques. Il ne doit par ailleurs en aucun cas constituer un laisser passer pour le complexe militaro-industriel, un argument pour se priver d’attaquer ses méfaits ou de laisser s’étendre son emprise sur toutes les strates de la société. Agir contre la dynamique capitaliste et impérialiste du complexe militaro-industriel, viser les entreprises complices de génocide et de crimes de guerre, c’est refuser de laisser les états-majors militaires et des multinationales de l’armement décider seuls des ressorts de la guerre et de la paix en vue de servir leurs propres intérêts.

les Soulèvements de la terre – avril 2025

Guerre à la guerre dès le 21 juin au Bourget

La coalition « Guerre à la guerre » appelle à une première action commune à l’occasion du salon de l’aviation militaire au Bourget, le 21 juin prochain, où la présence de sociétés militaires israéliennes à été confirmée par Macron, entre autre ventes d’armes aux pires régimes de la planète. Nous nous y joignons parce que nous refusons de rester spectateurs·ices face à la reprise intense des bombardements sur Gaza et aux plans de déportation de la population palestinienne ; parce que nous refusons d’être réduit·es à l’impuissance face à l’offensive anti-sociale et anti-écologique menée au nom de l’économie de guerre ; parce que nous refusons qu’aux portes de Paris s’opèrent des transactions mortifères entre complices de génocides et de crimes de guerre. Contre la marche forcée de l’économie de guerre et face au génocide en Palestine, nous serons là.

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1. Image d’illustration de l’article : Photo de couverture de Raissa Page – Danse sur un solo de missile nucléaire – envahissement par un groupe de femmes de la base militaire de Greenham Common en Angleterre le 31 décembre 1983 titrée « Re/Sisters: A Lens on Gender and Ecology »

2. Photos intérieures de Maraya Ashrafi tirée du livre « s’élever au milieu des ruines, danser entre les balles » sur la guerre et la résistance au Kurdistan syrien. »

Note 1:  https://www.obsarm.info/spip.php?article644

Note 2 : https://disclose.ngo/fr/article/guerre-a-gaza-la-france-equipe-en-secret-des-mitrailleuses-utilisees-par-larmee-israelienne et https://disclose.ngo/fr/article/livraisons-darmes-a-israel-11-ong-attaquent-la-france-en-justice

Note 3 : https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2024/11/sudan-french-manufactured-weapons-system-identified-in-conflict-new-investigation/#:~:text=Le%20syst%C3%A8me%20GALIX%2C%20fabriqu%C3%A9%20par,pour%20contrer%20des%20menaces%20proches

Note 4 : https://www.obsarm.info/spip.php?article560

Note 5 :  https://shs.cairn.info/l-empire-qui-ne-veut-pas-mourir–9782021464160?lang=fr

Note 6 : Mathieu Rigouste, La guerre globale contre les peuples, mécanique impériale de l’ordre sécuritaire, La Fabrique éditions, 2025.

Note 7 : https://hal.science/hal-03376895/document  et https://shs.hal.science/halshs-04373357v1/file/Bonneuil_2022_Lyautey%20Bonneuil_cultures%20de%20guerre.pdf

Note 8 : https://grain.org/fr/article/6901-fermes-armes-et-agro-diplomatie-israelienne

Note 9 : https://www.mediapart.fr/journal/france/280620/ecocide-histoire-d-une-idee-explosive

Note 10 : https://www.obsarm.info/spip.php?article486 et https://www.obsarm.info/spip.php?article502